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Alors que le Japon exporte sa culture à grands coups d’événements marquants, il est une boisson qui opère sa mue sans faire de vagues. Une boisson que la France redécouvre au gré des événements qui la mettent en avant : cette boisson, c’est le saké japonais. Le saké est brassé depuis plus de 2000 ans au Japon, cette boisson complexe et mystérieuse imprègne de ses saveurs la vie quotidienne de l’archipel. Si nous, français, le confondons bien trop souvent avec son faux-frère chinois : le baiju (alcool blanc parfois aromatisé à l’eau de rose), le saké commence à poindre le bout de sa bouteille dans les bars, restaurants et cavistes de la métropole.

Une boisson fermentée méconnue

Son nom a été trop longtemps usurpé en France pour que cela reste sans effet sur son image : alors que le Sud-Est de l’Asie vend ses eaux-de-vie sous l’appellation « sake », ce mot est pourtant 100% japonais. Le saké japonais est une boisson de riz fermenté. Doux et sensible, il titre généralement aux alentours de 15° d’alcool et prend forme sous différents styles : il existe des sakés d’apéritifs, des sakés d’accompagnement de plats, des sakés de dessert… La palette gustative est telle que c’est plus de 600 arômes qui ont été perçus dans cette boisson, contre 300 dans le vin !

Les Izakaya (bars traditionnels japonais) fourmillent dans les rues japonaises, autant d’endroits pour déguster du saké

Les Izakaya (bars traditionnels japonais) fourmillent dans les rues japonaises, autant d’endroits pour déguster du saké.

Une boisson fermentée complexe

Boisson populaire, qui imprègne l’imaginaire collectif lorsque les salary man japonais s’en vont trinquer dans les izakaya (bars traditionnels japonais) après une journée de labeur. Boisson de cérémonie, présente à toutes les étapes marquantes de la vie : naissance, mariage, décès, mais également lors des cérémonies religieuses… Le saké est partout au Japon. Illustration de son caractère identitaire : dans l’archipel, il est appelé nihonshu dont la traduction littérale est « alcool japonais » (nihon = japon, shu = alcool). Un peu comme si nous, français, avions décidé d’appeler le vin « Alcool français » ! Mais à l’heure actuelle, fidèle à son image changeante, le saké disparait peu à peu de la vie de l’archipel : de moins en moins de japonais en consomment, son image est souvent associée à celle d’un alcool complexe qu’il faut connaitre pour l’apprécier et aux charmes somme toute surannés. Les jeunes japonais lui préfèrent dorénavant le vin, les alcools forts et surtout, la bière.

La sakagura (brasserie à saké) Wakatakeya, sur l’île de Kyushu.

Une boisson phoenix

Alors que le nombre de brasseries s’effondre, que la production diminue, que l’image du saké au Japon soit un brin désuète et qu’il souffre d’un cruel manque de reconnaissance à l’international, le saké est en passe de réussir sa révolution. A domicile, tout d’abord, où les brasseries rivalisent d’ingéniosité pour redonner vie au produit. Si la production diminue, la qualité augmente considérablement. Seules les brasseries qui se distinguent survivent. Dans ce Battle Royal grandeur nature, les marques se scindent doucement en grandes familles. Certaines brasseries se développent à travers des sakés innovants : ces dernières décennies ont vu apparaître notamment le saké fruité (au yuzu, à la pêche, à la pomme…), le saké pétillant (happoshu), le saké sans alcool… tout est fait pour séduire la jeunesse, consommateurs de demain. D’autres brasseries accentuent leur caractère traditionnel avec un véritable retour aux sources. De plus en plus de brasseries se convertissent à la méthode ultra-traditionnelle dite kimoto, qui préconise l’utilisation de bactéries naturelles et, si l’on respecte son entière philosophie, de levures indigènes. Cette méthode, permet notamment de produire des sakés à consommer chauds. A l’extérieur également la révolution est en marche. Les exportations ne cessent d’augmenter. Les occidentaux prêtent grande attention à cet alcool si fin et délicat. Bien aidé par la popularité des whiskies japonais, le saké bénéficie d’un intérêt certain. Autre signe annonciateur de la dimension nouvelle de cette boisson : des brasseries à sakés se montent en dehors du Japon. Si les premières, montées aux États Unis dans les années 1970, étaient dues aux grandes brasseries industrielles japonaises qui souhaitaient produire du saké moins cher pour l’export, de multiples petites brasseries artisanales ont vu le jour sur le continent américain : les micro-brasseries à saké florissent aux Etats-Unis et au Brésil. Et l’Europe ? Alors que le vieux continent reste à la traîne, il semble avoir actionné la seconde dernièrement. Des brasseries artisanales ont vu le jour en Norvège et en Espagne. Ces premiers projets qui sont le fait de brasseurs de bières souhaitant se diversifier sont peut à peu complétés par des projets plus ambitieux : en France notamment, où la première brasserie d’envergure consacrée au brassage du saké a vu le jour en 2017 ! Les brasseries japonaises ont fait de la France leur prochain terrain de bataille pour conquérir le marché de l’export. Les grandes brasseries guettent le moment opportun pour investir dans notre pays, ce qui contribuera à populariser davantage encore cet alcool.

Préparation du shubo (« pied de cuve ») à la sakagura Chikusen dans la préfecture de Hyogo

L’effet boomerang

Le saké va grandement bénéficier de cette exposition à l’extérieur de ses frontières. Les japonais scrutent avec attention l’influence de leur culture à l’international. Un exemple symbolique : les mangas. Considérés comme de la culture de masse sans grand intérêt, le gouvernement japonais et les élites ont radicalement changé d’avis lorsque l’Occident, et particulièrement la France, s’est prise de passion pour cette littérature. Le manga est à présent l’un des fers de lance de la promotion culturelle japonaise à l’international. Les whiskies suivent la même trajectoire : devenus très populaires en peu de temps, ils connaissent un engouement certains qui n’est pas près de faiblir aux vues de leurs qualités, malgré une hausse des prix annoncée. Le saké entend bien suivre cette voie et profiter de cet effet « boomerang » : sa hausse de popularité à l’international suscite un regain d’intérêt au Japon.

Les intérêts du saké

Pourquoi cet intérêt occidental soudain pour cette boisson millénaire ? Les raisons sont multiples : En matière de production tout d’abord : les technologies se développant, elles permettent aujourd’hui de brasser des sakés aux profils aromatiques séduisant les palais des néophytes. En matière de consommation ensuite, le saké présente de multiples avantages par rapport aux autres alcools. Son principal est son association possible avec les mets. Le saké est un exhausteur de goût. Là où le vin se marie avec la nourriture, le saké la sublime. Ainsi, nul besoin de saucer les plats : le saké en révèle des saveurs inconnues et met en exergue ses profils gustatifs les plus subtils.

Saké chaud, saké froid

Autre avantage, le saké peut être consommé chaud et/ou froid. Alors que bien des connaisseurs avancent qu’un bon saké se consomme frais, cet assertion oublie -bien souvent volontairement- que le saké est un alcool qui se consomme traditionnellement chaud, allant jusqu’à le proposer servi à 55° ! Il existe deux grands profils de sakés : les sakés aromatiques, les plus modernes, qui sont à consommer frais et les sakés axés sur leurs qualités gustatives, souvent les plus traditionnels, qui sont généralement meilleurs chauds. Certains sakés sont également excellents à toutes températures… Ce double profil, un brin schizophrène, est en réalité un énorme avantage : en multipliant les facettes et les façons de le consommer, le saké multiplie les découvertes, les moments pour le déguster et les accords possibles. Le saké chaud présente également l’avantage de faciliter la digestion lorsque consommé lors du repas, en évitant le fameux coup de barre due à celle-ci : lorsque l’on boit en mangeant, l’estomac travaille afin de réchauffer la température de la boisson aux environs de 37°C, température du corps, afin de pouvoir le digérer. C’est ce travail qui fatigue l’organisme et provoque cette envie de « roupiller ». En consommant une boisson chaude, on évite ce phénomène.

Le riz est refroidi sur des lattes de bambou au sein de la brasserie Chikurin, préfecture d’Okayama

Production

Mais qu’est-ce que le saké japonais ? Concrètement, c’est le résultat de la fermentation du riz. La liste des ingrédients utilisés pour brasser le saké est minimale : du riz, de l’eau. A cela s’ajoute deux micro-organismes qui permettent les fermentations : les levures pour les fermentations alcooliques et le koji-kin. Le koji-kin est un champignon unicellulaire (de la moisissure noble) qui, une fois dispersé sur les grains de riz va permettre de transformer l’amidon du riz en sucre fermentable. Ce processus est appelé la saccharification. Au terme de ce processus, le riz, appelé tout simplement koji, sera naturellement sucré en bouche ! Reprenons depuis le début du process : le brasseur va commander du riz. Deux grands types de riz composent la famille du saké : le riz dit « de table » et le riz spécialement cultivé pour le saké qui donnera un saké dit « supérieur ».

Le riz, ingrédient de base du saké japonais.

Préparation du koji à la sakagura Umetsu Shuzou, à Tottori.

Ce riz sera poli ; ce polissage influence particulièrement le riz à saké : au centre de ce riz, l’amidon est proportionnellement plus concentré que dans les riz de table. Cela permet au brasseur de retirer l’écorce tout en conservant un maximum d’amidon, qui sera lui-même converti en sucre, puis en alcool. Le riz sera cuit afin de le préparer aux fermentations. Une partie de ce riz cuit sera saupoudrée du fameux koji-kin afin que du sucre fermentable apparaisse. Par la suite, pour les sakés modernes, on ajoutera acides lactiques et levures dans un « pied de cuve »  afin de transformer ce sucre en alcool. Pour les sakés traditionnels, à la mode actuellement, l’acide lactique apparait naturellement grâce à un travail supplémentaire sur les pieds de cuves. Dans la méthode ultra-traditionnelle, les levures sont également naturelles. Un processus complexe et difficile à maîtriser, qui font de ces sakés des raretés dont le goût est bien plus prononcé (on les retrouve sous le nom kimoto, bien que ce nom en lui-même ne garantisse pas des levures naturelles). Par la suite, ce pied-de-cuve est transféré dans une cuve au volume plus conséquent et le brasseur ajoutera le restant de riz, d’eau et de koji en 3 étapes. A l’intérieur de ces grandes cuves, le koji continuera de transformer l’amidon du riz cuit en sucre et les levures continueront de convertir ce sucre en alcool (et en gaz carbonique). Résultat, le saké titre naturellement à environ 20° d’alcool, un record pour une boisson fermentée ! Le résultat sera filtré, plus ou moins grossièrement. Pour certains sakés modernes, le brasseur ajoutera de l’alcool pur dans ses cuves afin de favoriser l’émergence d’arômes, notamment fruités. Ces sakés sont dits aruten. Enfin le saké sera réduit : le brasseur ajoutera de l’eau de source dans ses cuves pour diminuer le degré d’alcool final aux alentours des 15°. Les aruten, du fait de l’alcool ajouté, titrent à plus de 20° avant réduction. Afin de les faire redescendre à un niveau acceptable, le brasseur ajoutera davantage d’eau. Cette méthode lui permet d’augmenter considérablement le volume produit final et augmentera de ce fait les marges de la brasserie. Cet argument ne ressort pas souvent dans la bouche des brasseurs, mais il contribue au succès des aruten auprès des brasseries. Aujourd’hui, de plus en plus de brasseurs se battent pour que les sakés avec alcool ajoutés ne soient pas considérés au même titre que les sakés traditionnels, sans alcool ajouté.

Le saké YAMA, un saké ultra-traditionnel brassé selon la méthode kimoto et avec des levures naturelles.

Classification du saké

Depuis la fin du XXIe S. les sakés sont classés par classe en fonction notamment de leur taux de polissage du riz. Ce taux, indiqué sous le terme seimaibuai, apparait sous la forme d’un pourcentage au dos de l’étiquette. Il indique le taux de grain de riz restant après polissage. Par exemple, un taux de seimaibuai de 40% indiquera que 60% de l’écorce a été polie. Les sakés dits « de table », créés à partir de riz de table et dans lesquels le brasseur peut ajouter alcool pur et des acides sont appelés futsu. Un terme plutôt péjoratif très rarement écrit sur les étiquettes. Ces sakés ont un seimaibuai supérieur à 70%. Les sakés supérieurs se divisent par la suite en 2 catégories. D’un côté, les junmai : des sakés sans ajouts d’alcool pur, de l’autre, les aruten. Dans la famille des aruten, quand le seimaibuai descend entre 70% et 60% et si le brasseur a respecté quelques consignes strictes déterminant le volume d’alcool pur ajouté, son saké sera un honjozo. Soit un saké de meilleure qualité que les futsu. Puis le taux de seimaibuai déterminera les catégories dites « supérieures » aux junmai et aux honjozo. Lorsque le taux de polissage descend en dessous des 60%, les junmai deviennent des junmai ginjo. Les honjozo deviennent des ginjo. Du fait de ce polissage poussé, ces ginjo (ou junmai ginjo) sont généralement plus aromatiques que les junmai ou les honjozo. Arrive la catégorie dite des « grands crus » : les daiginjo (lorsqu’il y a eu ajout d’alcool) et les junmai daiginjo (lorsqu’il n’y a pas eu d’ajout d’alcool). Le taux de polissage du riz dépasse dès lors les 50%. En résulteront des sakés extrêmement aromatiques, fins et légers. Ce sont aux yeux de beaucoup ceux dont la préparation demande le plus d’efforts et de vigilance. Ce qui n’est pas toujours vrai. Cette classification, complexe aux premiers abords, a l’avantage de savoir à quel type de saké nous avons affaire : plutôt aromatique et moderne pour les daiginjo et ginjo, plutôt sur le goût et (parfois) traditionnel pour les junmai. Néanmoins ; elle a un inconvénient : celui de classer au même niveau junmai daiginjo et daiginjo (ainsi que ginjo et junmai ginjo), à savoir deux sakés dont le riz a été extrêmement poli et qui ont fait l’objet de beaucoup d’attention, mais dont l’un a été conçu sans alcool ajouté (junmai daiginjo) alors que l’autre s’est vu ajouter de l’alcool dans ses cuves (daiginjo). Pourtant le fait d’ajouter de l’alcool facilite la tache du brasseur, ce qui n’est pas forcément un mal, mais dévalorise de fait le travail des brasseurs qui parviennent à faire des junmai daiginjo tout aussi aromatiques, sans ajout d’alcool. Enfin, le second inconvénient reste qu’elle établit une hiérarchie dans la tête du consommateur qui sera tenté d’acheter des sakés au fort taux de polissage puisque ceux-ci sont présentés comme les grands crus. Pourtant de très nombreux saké à faible taux de polissage sont absolument excellents et se prêtent mieux à la consommation en accompagnement des repas. Autre inconvénient, en valorisant le taux de polissage, ce système encourage à la surenchère : il existe à présent des sakés au seimaibuai inférieur à 20% ! Une prouesse technologique qui n’a, pour le saké en lui-même, aucun avantage. En dessous d’environ 40%, on ne fait qu’enlever de l’amidon, qui est précisément le glucide que l’on recherchait au début du process. Un argument inutile d’un point de vue gustatif, mais tellement valorisant pour le marketing que la course au plus bas taux de polissage est effrénée.

Conclusion : il est temps de trinquer !

Vous avez survécu à ce système de classification ? Parfait, il est maintenant temps de déguster ! Pour découvrir le Japon, le saké est un sujet passionnant : à travers lui, c’est toute une culture qui apparaît, dans ses moments les plus conviviaux comme les plus intimes. A l’extérieur du Japon, le saké se développe de par le monde et s’apprête à envahir nos habitudes de consommation. Il est grand temps que nous, français, nous intéressions à cette boisson fermentée qui surclasse le vin de par sa complexité.

Mais cela ne devrait pas trop nous poser de problème : étrangement, dès qu’il s’agit d’alcool, les études en intéressent plus d’un…

Kanpai ! (santé)

Pour aller plus loin : Youtube : OsakeTV La chaîne dédiée au saké, sans prise de tête 😊 Les secrets du Saké, éditions Issekinicho Un livre, ludique et facile d’accès qui dévoilent les plus grands secrets autour de cet alcool. Disponible notamment sur le site des éditions Issekinicho et dans toutes les bonnes librairies. Nihonshu, le saké japonais Un livre rigoureux et précis, pour ceux qui souhaitent devenir experts en la matière Disponible en format broché sur www.osake.fr Notre site internet, avec boutique en ligne, documentation et formations disponibles